SEMENCES ET EAU, MEME COMBAT:
NON A LA MARCHANDISATION DE LA VIE

LA CULTURE REPOND A L'AGRICULTURE.

 

Comme la plupart des gens, j'ai été profondément choquée à l'annonce de l'emprisonnement de José Bové pour 14 mois fermes.

Cette condamnation de la justice française intervient alors que le combat syndical de la confédération paysanne s'inscrit résolument dans une dimension internationale contre la mondialisation: Des paysans indiens participaient à la neutralisation de plants de riz transgéniques des serres de la CIRAD (Centre International de Recherche en Agriculture et en Developpement) en France, opération condamnée par la cour de cassation qui fit tomber le sursis de José Bové pour une autre opération en 98 chez NOVARTIS.

Cette présence indienne nous rappelle que la culture du riz vieille de quelques dix mille années sur le territoire asiatique est, au même titre que le blé en mésopotamie, l'élément fondateur de nos civilisations favorisant l'emergeance de la culture par la sédentarisation.

La culture nait de l'agriculture, on le sait mais il est toujours bon de se le rappeler.

Si l'image de l'agriculture est associée aux labours, à la charrue et au travail en force de la terre (agraire et agressif ont la même racine latine...), on aurait trop tendance à oublier la partie féminine et patiente d'un long travail de tri selectif des semences, au fil des générations. La richesse varietale du riz et du blé (plusieurs milliers, aujourd'hui hélas réduite à quelques centaines) nous prouve l'ancienneté et le soin constant apporté à ces selections culturelles.

C'est ce que nous montre le Dr Vandana Shiva, pionnière en Inde dans la lutte contre les OGM et auteur de nombreux ouvrages dont "Ecofeminism" (en Anglais,1993) où elle évoque la confiscation par les monopoles semenciers de ce qu'on pourrait appeler le "matrimoine", unique capital dont disposent les femmes indiennes puisque seuls les hommes héritent de la terre, c'est à dire du patrimoine.

Que les grandes firmes agro-industrielles, qui n'ont jamais inventé les gènes de ces plantes nourricières, puissent après avoir manipulé leur génome en laboratoire, breveter et récupérer ainsi, des millenaires de patience féminine anonyme, voilà qui est certes commercialement valable mais généthiquement totalement incorrect.

Le pire a pourtant été évité en Inde de justesse avec le géne TPS (Technology Protection System), rendant les semences stériles, au nom du maintient du marché et du retour sur investissement des firmes, désormais mieux connu sous l'appellation de gène Terminator ou "semence suicidaire". En effet, les grands semenciers considérant les pays pauvres de la planète comme naturellement offert à leurs experimentations avaient sous-estimé les réactions populaires face à la stérilisation programmée de la vie. Le soulèvement paysan indien a gagné contre MONSANTO: En 1998, le gouvernement indien a tranché et interdit l'introduction du TPS en Inde. Le géant adepte de la solution finale a du chercher ailleurs une autre terre d'expérimentation. Mais l'opposition a gagné d'autres pays du sud: 20 pays africains ont suivit, considérant qu'au sein d'une agriculture paysanne tradionnelle équilibrée par sa propre production de semences, le géne TPS constituait une grave menace pour la sécurité alimentaire. En Amérique latine également, 50 ONG et groupes d'agriculteurs ont formé une coalition anti-terminator sur leur continent.

Qu'en sera-t-il en France, pays "évolué" où la plupart des agriculteurs ne produisent déjà plus leurs semences depuis longtemps, après la levée du moratoire, l'année prochaine? Juste avant que José Bové, seul véritable leader français de la lutte anti-OGM, n'ait fini de purger son injuste et scandaleuse peine?

 

Un autre sujet qui par bien des aspects rejoint le rôle fondamental de la femme au sein des sociétés traditionnelles des pays du tiers monde est la gestion de l'eau.

De même que la gestion essentielle de la biodiversité par les semences est considérée comme tâche improductive au regard de l'économie de marché, la gestion harmonieuse de l'eau dans les sanctuaires par les femmes indiennes grâce à l'entretien de biotopes singuliers et differenciés fut annihilée en Inde par la révolution verte qui y voyait une perte de temps et de territoires, leur substituant progressivement barrages, pompages de nappes phréatiques et irrigation, jugés plus efficaces. Bilan de cette gestion "rationnelle" des territoires dans le Tamil Nadu: intrusion d'eau salée dans les nappes phéatiques du à un excès de pompage de l'eau douce pour l'irrigation, érosion des sols lié à la mousson (6000 millions de tonnes de terres arables sont perdues chaque année, à cause des grandes surfaces vouées à la monoculture), contamination des sources par les pesticides, herbicides, etc...

Le tableau n'est guère plus reluisant chez nous, pays surdéveloppé, la régression des prairies depuis 20 ans conjointe à une urbanisation laxiste dans les zones humides provoquent en pays de Caux sensiblement les même degats: inondation, turbidité et pollution des captages d'eau potable.

 

N'est-ce pas aussi une profanation que de labourer une prairie autour d'une bétoire (orifice naturel de drainage des eaux pluviales)? Est-ce un acte civilisé que donner des permis de construire en zone inondable? N'est ce pas plutôt le comble de l'irresponsabilité que de devoir compter ensuite sur l'effort de la collectivité (Communauté de communes, Prefecture, Europe) pour réaliser de couteux équipements hydrauliques, comme bassin de rétention, station de relevage, tout à l'égout et, le nec plus ultra, l'usine de microfiltration?

Mais ne nous leurrons pas, tout comme la semence, l'eau potable est un marché captif et juteux car vital pour l'humanité. C'est ce que les maires des petites communes rurales n'ont toujours pas compris, en donnant des permis de construire de complaisance à la cousine de la tante de la grand mère... Car, ils s'obligent à terme à devoir abandonner la gestion directe de la ressource en eau en partenariat avec les petits syndicats d'eau, devenus eux même incapables de faire face aux besoins sans les gros Vivendi et autres Lyonnaise des eaux... Les citoyens n'auront plus qu'à payer la facture de l'irresponsabilité des élus et des agriculteurs.

 

L'eau et les graines sont l'essence de la vie même, c'est ce que nous méditons tous les jours au jardin d'art et d'essais à Normanville, sur le plateau de Fauville, à coté d'une bétoire alimentant les sources du vivier à Valmont. Ce site particulier offrant des caractéristiques hydromorphiques importantes justifie notre choix d'introduction du bambous: 135 taxons, la plus importante collection du nord de la France.

Tout au long de l'année, nous semons également et récoltons nos propres graines et les échangeons avec des jardins botaniques ou familliaux du monde entier, grâce à notre site internet: www.aisthesie.com, 3500 espèces et variétés de plantes ont pu voir le jour avec ce moyen informatique. Nous oeuvrons pour la liberté de la semence de vie, en restant le plus possible indépendants des circuits commerciaux, comme l'ont toujours pratiqué les jardins botaniques depuis le XVIIe siècle, avec le troc et l'échange.

Nous cherchons à valoriser l'expression végétale in situ, en réaction à ces plantes-objets en pot distribuées abondamment par les marchands de "mobilier" végétal. Notre travail s'inscrit dans la durée et nous participons, avec les abeilles, à l'évolution dynamique des espèces. Nous le constatons régulièrement: les plantes évoluent selon leur pays d'origine, elles s'acclimatent en se transformant. Des associations bénéfiques, ou maléfiques, se créent entre elles, des symbioses également.

Les théories fixistes sur les plantes ne sont certainement pas des théories de jardinier!

 

Forts de notre expèrience d'interprétation des sites par toutes ces plantes en mouvement, nous craignons le pire pour notre environnement agricole traversé par les puissants lobbies de l'agro-business.

Nous avions pu déjà constater le peu d'interêt de nos voisins agriculteurs pour notre démarche créative et interprétative, considérée comme luxueuse, selon certains, car non soumise à l'économie de marché selon eux, ce qui est faux car les questions d'environnement se conjuguent aujourd'hui avec un marché de l'éco-tourisme culturel.

Et comment la culture pourrait-elle être luxueuse alors qu'elle ne bénéficie que de 0,2% du budget européen tandis que la politique agricole commune s'élève à 45%??

Mais au delà de ces querelles budgetaires et économiques qui voudraient, en nous caricaturant de nantis, minimiser notre mérite d'avoir réalisé ce jardin à quatre mains nues sans aide ni soutien, on peut s'étonner du véritable abandon de l'agriculteur normand pour la connaissance des sols et des plantes dans le jeu de leurs interrelations.

Le profil agricole malheureusement aujourd'hui le plus répendu en pays de Caux attache plus d'importance à la gestion de ses investissements et des retours attendus qu'à la gestion du terrain. Seul le porte monnaie ferait "oeuvre de l'esprit". La création, l'invention, c'est pour l'INRA, MONSANTO, DUPONT, LIMAGRAIN. NOVARTIS... etc qui ont les moyens d'investir dans la recherche.

La recherche se fait "ex-situ", les plantes n'ont plus d'autre mémoire que celle du laboratoire. Les gènes ne sont plus la trace d'une expèrience vécue, de l'inscription expressive des singularités d'un sol et d'un climat.

Même l'eau ne connaitra plus la mémoire du sol, mais celle de la microfiltration de l'usine Vivendi, a force de labourer les bétoires au nom d'un principe économique primant sur l'écologique.

 

Il est urgent que les citoyens réagissent face aux questions territoriales du monde rural, afin de maintenir un sol vivant et une agriculture créative réconnectée avec la culture, avant qu'il ne soit trop tard, avant que l'utopie ne nous délocalise.

 

Cécile MAITROT, Jardin d'art et d'essais 76 640 Normanville, le 03/01/03

 

(ref bibl.: Kokopelli, Vadanda Shiva, Françoise Brenckmann et tout un tas de sites sur internet...)